Créations et actions artistiques qui ont marqué l'art contemporain au Luxembourg – Top 5

L'art suscite des émotions et des interprétations diverses. Avec leurs créations, certains artistes provoquent des discussions et contribuent ainsi au développement d'une société à l'esprit critique. Nous vous présentons les cinq productions artistiques qui, depuis l'année culturelle 1995, semblent avoir poussé les règles d'art au Grand-Duché. En soulevant des questionnements et des controverses, elles témoignent de l'ouverture et de la liberté artistique – principes essentiels de la créativité au Luxembourg!

L'art, c'est aussi la tolérance

Nous sommes en 1995 et Luxembourg-Ville est Ville européenne de la culture. Lors de la procession clôturant l'Octave, une période de prière et d'introspection annuelle, les pèlerins passent dans l'avenue de la Porte-Neuve devant une sculpture voilée. Il ne s'agit pas d'une oeuvre du couple d'artistes Christo et Jeanne-Claude, connus pour leurs installations in situ enveloppant des édifices dans du tissu, mais d'une sculpture de l'artiste franco-américaine Niki de Saint Phalle cachée sous une couverture par un employé de la commune.

Nike de Saint Phalle, "La Grande Tempérance", 1992
© Les 2 Musées de la Ville de Luxembourg, Christof Weber

"La Grande Tempérance" était-elle trop provocatrice pour les croyants? Cette "Nana", avec ses formes opulentes, colorées et cachées, a en tout cas fait des vagues et a même entraîné une question parlementaire autour de la liberté d'opinion et de la censure.

Finalement, ce n'était pas ce que l'on pourrait croire. La sculpture faisait partie d'une série de 11 oeuvres qui avivaient les lieux publics de la capitale du 30 mai au 15 septembre. L'une après l'autre, elles avaient été installées, mais elles ne pouvaient être dévoilées que toutes ensemble lors de l'inauguration officielle. Et c'est ainsi que "La Grande Tempérance" fut couverte le jour de la procession.

Aujourd'hui, la Nana peut être admirée au parc de la Villa Vauban, où elle continue à danser en toute splendeur.

Est-ce de l'art ou peut-on s'en débarrasser?

Après de nombreux débats, le projet initial pour le Mudam – Musée d'Art Moderne Grand-Duc Jean du célèbre architecte sino-américain Ieoh Ming Pei est coupé en deux: le Musée de la Forteresse – aujourd'hui connu sous le nom Musée Dräi Eechelen - et le Mudam. Le bâtiment est implanté sur le site du Fort Thüngen au Kirchberg et dispose de près de 4.800m2 de surfaces publiques et d'exposition. Sa construction a débuté en 1999 avec un budget de 88 millions d'euros. Le budget alloué aux acquisitions en 2005 atteint 825.000 euros.

L'exposition d'inauguration, qui a lieu début juillet 2006, s'intitule "Eldorado". Elle présente un panorama de la création actuelle: peintures, sculptures, installations, nouveaux médias, photographies, et autres oeuvres d'une soixantaine d'artistes. Parmi eux se trouve Joe Scanlan de New York et son oeuvre "Pay Dirt" (2003). L'installation, composée de marc de café, gypse, sciure de bois, poudre d'os et minéraux de sels, ne répond pas aux goûts et attentes de tout le monde pour ce musée tant espéré. Le terreau, une critique à la société de consommation, est qualifié de simple tas de terre et devient le symbole pour le "Pei-Musee" qui, selon ses critiques, ne vaut pas l'investissement des contribuables.

Aujourd'hui, l'oeuvre fait toujours partie de la collection du Mudam, qui est devenu entretemps l'un des musées les plus réputés de la région avec une renommée internationale.

Joe Scanlan, "Pay Dirt" 2003
© Mudam Luxembourg, Christian Aschman

La différence de perception d'un objet d'art

Plagiat, infecte parodie, véritable profanation, lamentable construction... Ce ne sont que quelques-unes des déclarations censées de qualifier l'oeuvre "Lady Rosa of Luxembourg" de l'artiste croate Sanja Iveković. L'oeuvre est une appropriation de la Gëlle Fra, monument de souvenir pour les soldats morts pour le Luxembourg et un des plus iconiques du Grand-Duché. La sculpture, représentant une femme enceinte, et son socle sont installés à proximité de la place de la Constitution en printemps 2001 dans le cadre de l'exposition "Luxembourg, les Luxembourgeois" du Casino Luxembourg – Forum d'art contemporain.

Sanja Ivekovic, "Lady Rosa of Luxembourg", 2001
© Casino Luxembourg

30 associations patriotiques et de la Résistance se sont jointes aux opposants contre la "Gëlle Fra 2". Ensemble ils collectionnent 5.000 signatures. Ils protestent ainsi contre cette "dénaturation" de leur Monument-symbole rappelant les sacrifices des combattants pour la Liberté et revendiquent la démission de la ministre de la Culture.

Cependant, l'artiste n'a jamais eu l'intention de blesser la sensibilité des Luxembourgeois. Elle a voulu rendre attentif aux problèmes des femmes dans des situations de guerre, de crise et de conflit. En même temps elle questionne l'image, la condition et le statut féminin dans notre société. Elle rend donc hommage aux personnes endeuillées, femmes violées et victimes de guerre, mais aussi à celles qui honorent les héros (comme la Gëlle Fra), les mères, les prostituées et bien d'autres, comme en témoignent les inscriptions sur le socle.

La discussion très controversée autour de Lady Rosa a été importante et a souligné la diversité des significations et valeurs d'un monument historique et de l'art contemporain. En 2011, Lady Rosa est exposée à New York au MoMaMuseum of Modern Art dans le cadre d'une rétrospective autour de l'artiste. En 2021, une pièce de théâtre "Moi, je suis Rosa!" lui redonne la parole. Aujourd'hui, elle est hébergée dans les réserves du Mudam Luxembourg.

Tout est art

En 2007, le Luxembourg et la Grande Région sont Capitale européenne de la culture. Cette fois-ci, c'est l'artiste belge Wim Delvoye qui déclenche le buzz dans la presse et dans le langage populaire avec son oeuvre Cloaca. L'exposition "Wim Delvoye: Cloaca 2000 – 2007" est organisée par le Casino Luxembourg en collaboration avec le Mudam Luxembourg. La monographie est consacrée entièrement au projet Cloaca et réunit pour la première fois les huit machines réalisées jusqu'à ce jour, des dessins originaux, photographies 3D, radiographies, maquettes et d'autres objets encore. Pour la première fois aussi, trois Cloaca fonctionnent dans une même période: deux sont actives au Casino pendant presque toute la durée de l'exposition et une pendant trois jours (à l'occasion de la Nuit des Musées 2007) au Mudam. Pour l'artiste, ses machines réalisent l'un des rêves de l'humanité: celui de reproduire le fonctionnement digestif du corps humain. Pour certains visiteurs, cependant, elles représentent un cauchemar.

Les excréments puent. Mais aux yeux des biologistes, il s'agit d'une reproduction intéressante de notre appareil digestif. Huit restaurateurs de la Ville de Luxembourg nourrissent les machines au Forum d'art contemporain et un supermarché fournit les aliments invendus, pour la "Super Cloaca" au Mudam Luxembourg. L'artiste sait que le public ne trouve pas cela "politiquement correcte", mais c'est précisément avec ces sentiments qu'il joue.

Cloaca produit "de la merde" et l'artiste vend "de la merde" (emballée sous-vide en tant que produit à valeur artistique). Piero Manzoni a déjà vendu des boîtes de conserves de "Merda d'artista" en 1961 et le message reste le même: nous vivons dans une société de consommation où l'on peut vendre n'importe quoi à n'importe quel prix, même "de la merde". 

Wim Delvoye est un artiste "entrepreneur" avec un sens commercial prononcé. Mais il aime aussi l'absurde et la dérision dans la lignée des artistes surréalistes belges. Tandis que ses critiques se heurtent au mauvais goût, les amateurs n'y voient qu'une célébration de l'humour et de l'art.

Wim Delvoye, "Cloaca New & Improved", 2001
© Casino Luxembourg, Wim Van Egmond

Ceci n'est pas une provocation

Le 29 octobre 2014, jour de l'Ascension, l'artiste franco-luxembourgeoise-italienne Deborah de Robertis expose son sexe devant le tableau "L'Origine du monde" de Gustave Courbet, qui fait partie de la collection du musée d'Orsay à Paris. L'artiste porte une robe dorée, le visage est maquillé de larmes dorées et la performance est accompagnée d'une bande sonore de "Ave Maria" de Franz Schubert et de sa voix enregistrée. Quelques visiteurs applaudissent, mais en général l'action affole et agite jusqu'à la confrontation même avec la police. Après quelques heures de garde à vue et un rappel à l'ordre, Deborah de Robertis est libérée. Avec cette performance, elle connaît du jour au lendemain une certaine célébrité en faisant le buzz dans les médias internationaux.

Deborah De Robertis, "Mémoire de l'Origine", 2013 - Photographie de la série dans laquelle s'inscrit la performance "Miroir de l'Origine"
© Deborah De Robertis

Ndlr: la photo affichée ci-dessus ne représente pas l'oeuvre qui a fait scandale au musée d'Orsay. Elle a été retouchée aussi.

Pour l'artiste, il ne s'agit pas d'une provocation, mais d'un retournement du regard. En exposant son sexe, elle confronte en même temps le spectateur avec son regard. Avec son oeuvre, elle questionne la position de la femme en tant que modèle dans l'histoire des arts, le corps féminin nu en tant que sujet actif et non objet du regard des représentations masculines, la prise de position qu'une artiste peut prendre librement. De nos jours, le sexe est omniprésent et accessible à tout le monde via internet, mais quand on le déplace dans le monde de l'art, la réflexion change. La nudité est pour Deborah de Robertis une forme de protestation et un outil de réflexion critique pour remettre en question les systèmes du patriarcat dans le milieu artistique.

L'artiste continue toujours ses performances et son travail artistique politique. Elle vit entre Paris, Bruxelles et Luxembourg. L'oeuvre citée, "Miroir de l'origine", peut d'ailleurs être visitée dans l'exposition "Lacan, l'exposition. Quand l'art rencontre la psychanalyse." jusqu'au 27 mai 2024 au Centre Pompidou-Metz